ACTION DE GROUPE "SANTE" :
UNE NOUVELLE ARME
POUR LE CONSOMMATEUR
La loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, dite loi « Santé », a introduit dans l’arsenal législatif français, via son article 184, une action de groupe en matière de santé (articles L. 1143-1 à L. 1143-22 du code de santé publique (CSP).
Les dernières années ont été marquées par diverses crises de santé publique, Médiator, prothèses mammaires PIP… Face à des contentieux qui peuvent réunir des dizaines de milliers de victimes, le gouvernement a proposé au législateur de compléter les avancées issues de la loi du 4 mars 2002 dite loi Kouchner qui a instauré les dispositifs de résolution amiable suivants (création des Commissions Régionales de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux (CRCI) et de l’Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux (ONIAM). En effet, ces dispositifs de résolution amiable des litiges, appréciés quant au délai de traitement des dossiers, ne sont probablement pas aptes à recevoir et gérer des litiges de masse ou sériels.
Comment fonctionnera l’action de groupe en matière de santé ? Quels sont les éléments clefs que les éventuels consommateurs concernés doivent avoir à l’esprit ?
I - L’action de groupe en matière de santé : domaine concerné et acteurs
Le domaine concerné
Le nouvel article L. 1143-1 du CSP détermine les deux possibilités d’enclenchement d’une action de groupe en matière de santé :
Un manquement d’un producteur ou d’un fournisseur d’un produit de santé mentionné au II de l’article L. 5311-1 du CSP (médicaments, produits contraceptifs, produits d’entretien de lentilles de contact, produits cosmetiques…) ;
Un manquement d’un prestataire, utilisant un des produits de santé référencés par le CSP, quant à ses obligations légales ou contractuelles (exemple : erreur technique (mauvaise utilisation de seringue).
Cette nouvelle action de groupe doit être fondée sur un dommage constaté de manière identique par des usagers du système de santé et ayant pour cause commune l’un des deux manquements ci-dessus cités. Par exemple, des porteuses de prothèses mammaires défectueuses se retournent contre le producteur.
Nous sommes donc bel et bien en présence de ce que les assureurs de responsabilité civile dénomment un sinistre sériel (voir l’article L. 124-1-1 du code des assurances).
Le dernier alinéa de l’article L. 1143-1 du CSP est fondamental : il précise les dommages concernés par cette nouvelle action de groupe à la française : les dommages corporels.
Une fois ce périmètre d’activité défini, il nous faut s’intéresser aux acteurs susceptibles d’être concernés.
Les acteurs
Quatre acteurs joueront un rôle prédominant dans cette nouvelle procédure :
Les producteurs ou fournisseurs de produits de santé. Exemple : un laboratoire pharmaceutique fournisseur d’un vaccin dont certains vaccinés ont contracté une même maladie après vaccination.
Les prestataires utilisateurs de produits de santé. Exemple : un radiothérapeute qui, par une fausse manipulation de ses appareils, diffuse auprès de patients une dose d’irradiation supérieure à celle prescrite.
Les associations d’usagers du système de santé définies à l’article L. 1114-1 du CSP, compétentes au niveau régional ou national. Il n’en existe pas moins de 486 sur la totalité du territoire national (listes consultables sur les sites des agences régionales de santé). Une capacité d’action, à première vue, plus large que pour l’action de groupe « consommation » où seules 15 associations nationales agréées disposent de la possibilité d’enclencher la procédure. Sur cette action, voir l’article « Actions de groupe, entrée du dispositif en vigueur le 1er octobre 2014, lire l'article "Actions de groupe".
Les assureurs des professionnels concernés et des associations d’usagers.
Le nouvel article L. 1143-20 du CSP rappelle que les actions à destination des professionnels (action en responsabilité (article L. 1143-1), action de mise en œuvre du jugement (article L. 1143-12) peuvent être exercées directement à l’encontre des assureurs de responsabilité du responsable au titre de l’action directe définie par le code des assurances (article L. 124-3). Pour rappel, l’action directe permet à la victime d’un accident d’effectuer directement un recours à l’encontre du responsable du dommage.
Par ailleurs, rien n’empêche une association d’usagers de santé, si son contrat le prévoit, d’appeler en garantie son assureur au titre d’une garantie recours ou protection juridique.
Comme sa sœur jumelle de l’action de groupe consommation, cette procédure destinée à la sphère médicale se décompose en plusieurs phases aux fins d’un fonctionnement optimum.
II - Les étapes de l’action de groupe « santé » et les éléments clef à conserver à l’esprit
Deux étapes à franchir
Le texte prévoit deux phases de l’action : dans un premier temps un jugement sur la responsabilité puis, dans un second temps, une phase de mise en œuvre du jugement et de réparation individuelle des préjudices. Le recours à la médiation est également prévu par le législateur au même titre que celui exercé dans le cadre des actions de groupe consommation.
La première étape : le jugement sur la responsabilité
La première phase est au cœur de la procédure. A titre liminaire, il doit être observé que l’association agréée doit pour pouvoir enclencher l’action rassembler un nombre de cas similaires. Ce nombre doit être au minimum de deux afin que la procédure puisse s’enclencher.
Le juge doit tout à la fois observer si les conditions d’enclenchement de la procédure sont réunies (article L. 1143-1 du CSP), statuer sur la responsabilité du défendeur au vu des cas individuels présentés par l’association d’usagers de santé requérante, définir le groupe des usagers du système de santé à l’égard desquels la responsabilité du défendeur est engagée et déterminer les dommages corporels susceptibles d’être réparés pour les usagers concernés. A ce titre, il peut, comme il le ferait dans le cadre d’une action individuelle, s’appuyer d’expertises médicales.
Dans la décision qui tranche la responsabilité du professionnel attrait devant la juridiction civile, il doit être prévu les mesures de publicités permettant aux potentiels victimes ayant subi le même dommage de rejoindre le groupe limitativement défini et ce dans un délai compris entre six mois et cinq ans à compter de l’achèvement des mesures de publicité ordonnées.
Nous sommes ainsi en présence de la technique de l’opt-in (les victimes doivent manifester leur assentiment pour participer au groupe préalablement défini).
Toutes voies de recours confondues (appel, cassation…) avec une durée d’expertise plus ou moins longue en fonction du nombre de cas individuels présentés par l’association, la première phase peut durer entre 5 à 7 ans.
La seconde étape : la mise en œuvre du jugement
La mise en œuvre du jugement se réalise sous l’hospice du juge qui a statué sur la responsabilité. Il peut d’ailleurs être à nouveau sollicité en cas de mauvaise exécution de sa décision par des usagers, appartenant au groupe défini de victimes, non indemnisés par le responsable.
L’intervention d’un médiateur peut être sollicitée
Dans un souci d’un règlement amiable des litiges et une accélération de l’indemnisation des victimes d’un même dommage, le magistrat, avec l’accord des parties, peut solliciter l’intervention d’un médiateur dont la mission ne peut excéder six mois au total (article L. 1143-6 du CSP). Une convention amiable peut ainsi voir le jour. Cette convention doit notamment prévoir « les modalités de suivi du dispositif » et « les mesures de publicité mises en œuvre par les personnes mises en cause pour informer les usagers su système de santé concernés de l’existence de la convention et de la possibilité de demander réparation aux conditions qu’elle fixe ainsi que du délai et des modalités applicables » (article L. 1143-8, 6° et 7° du CSP). L’homologation, par le juge, de la convention met fin à l’action.
Quelques réflexes à avoir à l’esprit pour les victimes
Au-delà du temps particulièrement long susceptible de s’écouler entre l’assignation originelle et l’indemnisation finale, les victimes doivent avoir à l’esprit que les couvertures d’assurances des professionnels possiblement impliqués sont limitées puisque régies par le système du plafonnement des garanties d’un sinistre sériel.
Par exemple, dans le cadre de l’affaire PIP, la garantie de responsabilité civile du producteur des prothèses mammaires défectueuses était limitée à 3 millions d’euros.
Dès lors, nous assisterons à une véritable course au marc le franc des victimes afin de pouvoir toucher une indemnisation avant que le plafond ne s’épuise ; le premier arrivé et le premier servi. Le juge devra toutefois, avant de condamner le professionnel, vérifier le solde disponible au titre de la garantie d’assurance au regard notamment des sinistres déjà liquidés (Cass. civ. II, 11 décembre 2014 ; n° 13-19.262).
En guise de conclusion, deux éléments doivent être soulignés. Les premières actions auront lieu à compter de la date prévue dans les décrets d’application ou au plus tard le 1 er juillet 2016 (article L. 1143-22 du CSP). Par ailleurs, les usagers pourront agir contre les fabricants, producteurs et utilisateurs de produits de santé pour des faits antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi si toutefois l’action en justice n’est pas prescrite. Ainsi, des victimes du Médiator qui n’ont pas encore obtenu réparation pourraient enclencher une action. Cette application dans le temps de cette nouvelle procédure a été fortement critiquée par les professionnel et a fait l’objet d’un recours des sénateurs devant le Conseil constitutionnel. La haute juridiction a rejeté le prétendu caractère rétroactif de l’application de ce nouveau texte dans la mesure où les règles de fond qui définissent les responsabilités des éventuels professionnels impliqués ne sont pas modifiées (cf Décision DC n° 2015-727 DC du 21 janvier 2016, considérant 98).
Charles Le Corroller
Juriste à l'INC